Schizophrénie : entre génétique et environnement, que sait-on vraiment ?

06/06/2025

Ce que recouvre (vraiment) la question de la génétique dans la schizophrénie

La schizophrénie, souvent crainte et méconnue, touche environ 24 millions de personnes dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, on estime que 600 000 personnes sont concernées (Haute Autorité de Santé). La question de la génétique revient régulièrement dans les familles : la maladie est-elle héréditaire ? Faut-il s’inquiéter pour les enfants ou les frères et sœurs ? La science a beaucoup progressé, mais la réponse, loin d’être tranchée, est nuancée et appelle à la prudence.

La schizophrénie : ce que l’on sait de ses causes

La schizophrénie n’est ni une fatalité, ni une simple question de “mauvais gènes”. Ce trouble psychiatrique complexe résulte d’un enchevêtrement de facteurs :

  • Des facteurs biologiques et génétiques
  • Des contextes environnementaux (naissance, enfance, adolescence...)
  • Des facteurs psychologiques, sociaux et familiaux

La génétique joue un rôle, mais elle n’explique jamais tout. On parle de vulnérabilité multifactorielle : un terrain biologique prédisposant, sur lequel d’autres éléments vont interagir.

Quelle part de génétique ? Les chiffres clés

Les grandes études sur la génétique de la schizophrénie reposent notamment sur l’observation des familles, des jumeaux, de l’ADN de larges populations.

  • En population générale, le risque de développer une schizophrénie est d’environ 1% (Inserm).
  • L’enfant d’un parent atteint a un risque de 10 à 15%.
  • Ce risque monte à 40-50% si les deux parents le sont.
  • Chez des jumeaux identiques (même patrimoine génétique), si l’un est atteint, le risque pour l’autre est d’environ 40% à 45% (études de Gottesman, 1991, et Giusti-Rodriguez, 2022).
  • Chez des jumeaux dizygotes (différents patrimoines génétiques), il descend à 8-15%.

Attention, la majorité des enfants de personnes malades ne développent jamais la maladie. Avoir plusieurs cas dans une famille augmente la probabilité, sans pour autant aboutir à une certitude.

Des gènes impliqués, mais pas de « gène de la schizophrénie »

Les recherches montrent qu’il n’existe pas un seul gène responsable de la schizophrénie. Plus de 270 régions du génome humain ont été associées au risque de schizophrénie (Nature, Trubetskoy et al., 2022).

  • Chaque variation génétique augmente le risque de façon très légère.
  • C’est l’accumulation de nombreuses variations qui tisse un terrain vulnérable.
  • Contrairement à des maladies génétiques « pures » (comme la mucoviscidose), il n’y a pas de test prédictif fiable.

Certains chercheurs évoquent aujourd’hui la notion de « score de risque polygénique ». Celui-ci synthétise la présence de petites variations sur des centaines de gènes. Mais il n’a aucune valeur de prédiction individuelle et ne fait pas partie du diagnostic en clinique.

Rôle de l’environnement : au-delà de la génétique

Si la génétique peut faciliter l’expression de la schizophrénie, elle ne suffit jamais à l’expliquer. Des personnes ayant le même patrimoine génétique – y compris au sein de jumeaux parfaits – n’auront pas obligatoirement le même parcours. Les facteurs environnementaux pèsent lourd :

  • Grossesse ou accouchement compliqué (prématurité, infections…)
  • Evénements de vie intenses ou traumatismes dans l’enfance
  • Consommation importante de cannabis ou de substances à l’adolescence
  • Isolement social, précarité extrême, certains environnements urbains

C’est l’interaction gènes/environnement qui « allume » – ou non – la maladie. Dans de rares cas, des mutations génétiques très rares (délétions, CNV…) peuvent être en cause, mais elles expliquent un pourcentage très faible de l’ensemble des cas (Sciences et Avenir, 2023).

Pourquoi cette question préoccupe tant les familles ?

La crainte d’une maladie transmissible, le sentiment de culpabilité parentale ou l’angoisse d’un « destin » familial font souvent partie des inquiétudes des proches.

  • De nombreux parents redoutent que leurs autres enfants puissent « attraper » la maladie.
  • Des fratries hésitent à fonder une famille, faute d’informations claires sur leur propre risque.
  • Le silence autour de la maladie dans certaines familles renforce ces angoisses, parfois à tort.

Il est essentiel de rappeler que personne ne “donne” la schizophrénie à son enfant, et que la question génétique ne doit pas accentuer le poids de la culpabilité.

Ce que disent les recommandations aux familles

  • L’absence de dépistage génétique : Il n’existe aucun test prédictif fiable permettant de dire si une personne développera – ou non – une schizophrénie. De nombreux cliniciens déconseillent de rechercher faute de piste concrète d’anxiété, sauf dans des situations familiales très particulières.
  • Informer sans alarmer : Les professionnels s’accordent à dire qu'il est plus utile d’accompagner les familles vers la compréhension de la maladie, la vigilance sur les signes précoces, que de se focaliser sur la génétique seule.
  • Prévenir les risques modifiables : Protéger les enfants et adolescents d’éventuels facteurs aggravants (stress extrême, consommation de drogues), favoriser un climat familial sécurisant, facilite la prévention.

La Haute Autorité de Santé recommande un suivi adapté et individualisé. L’information autour de la génétique doit être délivrée prudemment, pour éviter l’autostigmatisation ou des décisions de vie basées sur des inquiétudes infondées (HAS).

Quelques repères pour aborder le sujet dans la famille

  • Rien ne remplace la discussion ouverte : Oser en parler diminue la solitude, à condition de choisir ses mots avec douceur et bienveillance.
  • Préférer les faits aux croyances : S’appuyer sur les données scientifiques actuelles et ne pas céder à la peur d’une « fatalité » familiale.
  • Soutenir les jeunes : Pour un adolescent qui découvre qu’un parent ou un frère a été diagnostiqué, être écouté, rassuré, et accompagné dans la compréhension de la maladie est primordial.
  • Ne pas hésiter à se faire accompagner : Professionnels de santé, associations d’usagers et d’aidants, groupes de parole peuvent aider à dépasser les inquiétudes.

Et l’avenir ? Où en est la recherche ?

Les recherches s’intensifient sur la génétique de la schizophrénie. Les outils de séquençage génomique permettent d’identifier des variants de risque inconnus il y a encore dix ans. Des projets internationaux tels que le Psychiatric Genomics Consortium travaillent à mieux comprendre les mécanismes en jeu (Pardiñas et al., 2023). Mais les applications médicales restent prudentes : l’essentiel de l’accompagnement repose toujours sur la prise en charge globale, la psychothérapie, la qualité de vie, et la prévention des rechutes. La piste du génome n’est qu’une facette, pas une recette.

Parmi les pistes de recherche les plus prometteuses :

  • L’identification de nouveaux facteurs de risque combinant données génétiques et environnementales
  • Des tests de vulnérabilité (encore expérimentaux), intégrant intelligence artificielle et génétique
  • Une meilleure compréhension des mécanismes cérébraux pour adapter les traitements

Mais il est important de préciser que l’immense majorité des personnes à risque génétique ne déclareront jamais la maladie.

Ce qu’il faut retenir pour les familles et aidants

  • La schizophrénie a une composante génétique, mais n’est pas « programmée » dans l’ADN.
  • Pour une personne ayant un parent malade, le risque de développer la maladie reste faible, et la majorité des enfants ne seront jamais concernés.
  • Aucune culpabilité à avoir : il n’existe aucune action parentale qui provoque la maladie.
  • L’apparition de la schizophrénie résulte d’un ensemble complexe de facteurs, souvent imprévisibles.
  • Les actions préventives, la vigilance, le soutien familial sont les meilleures armes à disposition.
  • Si le doute, l’angoisse ou l’isolement sont trop lourds : consulter, parler, se faire accompagner demeure le plus aidant.

Mieux comprendre la génétique de la schizophrénie, c’est aussi se libérer du poids du secret, du fatalisme et de la peur. Ouvrir la parole, savoir où trouver du soutien, continuer à s’appuyer sur la solidarité locale : voilà ce qui compte pour préserver les familles et favoriser les parcours de chacun.

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